mag'
13
Vous vous définissez vous-même comme un homme
de terrain. Qu’avez-vous vu des effets du
bouleversement climatique en cours?
C’est une réalité. Par exemple en 2010, lors de mon der-
nier voyage en Arctique, je me suis rendu compte qu’il y
avait des zones d’eau libre de glace importantes, alors
que l’on était à peine en avril. On voit, grâce aux crêtes
de compression qui se forment lentement lorsque des
plaques de glace sont poussées l’une contre l’autre, que
la banquise a diminué en épaisseur. Ces crêtes pou-
vaient faire jusqu’à six mètres de haut, alors qu’elles sont
beaucoup plus petites maintenant.
Quand vous avez réalisé votre expédition au pôle
Nord en 1986, aviez-vous conscience des
bouleversements qui s’annonçaient ?
Cette notion de réchauffement et de fragilité était déjà
là, portée par quelques scientifiques et industriels. À
l’époque, le directeur de l’environnement d’Elf, et déjà ça
c’était quelque chose d’assez nouveau qu’il y ait un direc-
teur de l’environnement, m’avait dit que «
le vrai pro-
blème à venir c’est le réchauffement climatique lié à
l’exploitation des énergies fossiles
». Donc les personnes
qui étaient dans le domaine étaient déjà informées, mais
pas forcément le grand public. Depuis l’information s’est
accentuée, et aujourd’hui on voit les prémices des pre-
miers changements.
Mais n’est-ce pas trop tard pour essayer de renverser
la vapeur?
C’est comme avec une maladie chronique
: quand on a
juste un peu de fièvre, on traîne à consulter, on laisse les
choses empirer. Avec le climat c’est ce qui se passe
: on
traine un peu. Mais comme d’habitude, la maladie se
révèle lorsque les complications arrivent. Lorsque New
York a été durement touchée par l’ouragan Sandy en
2012, ça a marqué durablement les esprits. Il a fallu que
ça touche un pays riche, mais des investisseurs com-
mencent à limiter leurs placements sur les énergies
fossiles. Les gens réalisent que le processus est enclen-
ché, que des phénomènes classiques, qui existaient déjà
avant, augmentent en intensité.
Quelles sont les solutions à mettre en œuvre pour
éviter ces complications?
On le sait aujourd’hui, il faut limiter l’utilisation des éner-
gies fossiles, en premier lieu le charbon. En France, ça
nous parait loin, mais le monde marche au charbon, en
premier lieu la Chine et l’Inde. Depuis que l’Allemagne, a
décidé de sortir du nucléaire, 54% de l’électricité est
produite à partir de charbon. En Pologne, c’est 93%.
De plus, 100% de notre économie repose sur le trans-
port, et 95% du transport repose sur le pétrole. On est
dans une dépendance totale, à un point que la plupart
des gens n’imagine pas. On est au début de cette prise de
conscience, et grâce aux enjeux climatiques, on va pou-
voir amener une réflexion sur nos modes de
consommation.
Propos recueillis par Victor Haumesser
Jean-Louis Étienne en quelques dates...
1986
: expédition de 63 jours en Arctique, pour
atteindre le pôle Nord en traîneau à chiens.
1991 à 1996
: expéditions en Antarctique et au
Spitzberg à bord de la goélette
Antarctica
.
2005
: séjour de 5 mois sur l’atoll de Clipperton, dans le
Pacifique, pour étudier son climat et sa biodiversité.
2010
: dérive en solitaire à bord d’un ballon au-dessus
du pôle Nord pour effectuer des relevés atmosphériques.
... et une citation !
«
Il ne faut pas hésiter à revenir à quelque chose de plus
personnel de sa vie, apprivoiser sa vie, s’apprivoiser
soi-même : on est un animal avec lequel on ne vit plus.
On n’est plus à l’écoute de sa vie
. »